Résidence à Street Art City

En ce mois de juin 2019, j’ai été invité durant 3 semaines en résidence artistique à Street Art City

J’y étais accompagné de mon ami Abeil One , et à nous deux, nous avions la lourde tâche de représenter La Réunion…

Apres 10 h de vol, 2 h de train et 4 h de voiture, nous voici donc rendus au cœur de la campagne bourbonnaise, à Lurcy Levis, en lisière de la célèbre forêt de Tronçais.

L’accueil de Sylvie et Gilles Iniesta, les propriétaires du site, et leur équipe, est particulièrement chaleureux. Ils nous mettent tout de suite à l’aise pour démarrer la résidence. Notre hébergement est confortable et les repas seront délicieux.

Durant notre séjour, les autres artistes en résidence sont Bast, Oji, Kelkin, Zeso, Erica Arndts, Fleur Blume, Arthus Rey, Wesl, et Oto Shade

J’ai donc réalisé la chambre 126 au dernier étage du fameux Hôtel 128, et une toile.

Ce dernier étage sera ouvert au public en septembre 2019. Il viendra finaliser la réalisation des 128 chambres de l’hôtel par des artistes du monde entier.

Voici un avant première des images de la chambre, et de la toile.

Etant originaire de cette région, j’ai travaillé sur le thème du Berry, de ses icônes et de ses légendes. Mes grands parents paternels possédaient une ferme, « La Cinardière », juste en limite de propriété de Street Art City…incroyable hasard! Mes grands parents maternels étaient situés quelques kilomètres plus loin, dans une ferme également « Les Chaumes de l’œuf ».

Cette résidence sera également l’occasion de m’inspirer de mes souvenirs d’enfance.

Sylvie me laisse la liberté de choisir ma chambre. Elle me donne la consigne « d’oublier » ce que je fais, et de laisser remonter ce qui est « à l’intérieur de moi ». Pour elle, les réalisations des chambres sont des « œuvres cellulaires ». L’artiste est confronté à un espace-temps particulier qui le porte dans une forme d’introspection.

Après avoir visité plusieurs chambres, celle qui me convient au final est particulièrement dégradée : moisissures, voir champignons sur les murs, moquette et papiers peints pourris et moisis, peinture écaillée au plafond, salle de bain en ruine : C’est la 126.

Par contre, j’aime son volume et son ambiance. Je m’y sens bien et elle offre une superbe vue sur le bocage berrichon. Des champs de foins s’étendent à perte de vue. La couleur dominante du paysage est d’un vert-jaune magnifique.

Je me lance dans ma première peinture…

Ma première idée est de réaliser un portrait de George Sand revisité et inspiré du portrait d’Auguste Charpentier. C’est la première fresque que le visiteur verra en entrant dans la chambre.

George Sand est un personnage important de la région, elle écrivit beaucoup sur les contes et légendes berrichonnes, mais aussi sur la vie des « petites gens » dans la campagne.

Face à elle, se trouvera un loup qui est l’animal emblématique, voir totémique, du Berry…

La texture du support de Georges Sand est intéressante, mais particulièrement pénible à peindre. C’est un vieux papier peint avec de la corde à l’intérieur, genre toile de jute, qui absorbe la peinture. Pour chaque aplat de couleur, je dois appliquer une sous couche de blanc puis deux ou trois couches de spray pour obtenir un rendu satisfaisant.

Le mur central est particulièrement abîmé. De l’eau en suinte en permanence, il est recouvert d’un papier peint moisi, et de peinture écaillée.

Après avoir viré l’ancien papier peint, je découvre un mur aux aspérités et aux couleurs particulièrement esthétiques.

Je choisis alors de rehausser les couleurs naturelles au spray transparent. Je ne sais pas encore à ce moment là ce que je vais y dessiner.

Face au portrait de Gorge Sand, je commence à tracer le loup. Après avoir dégagé le vieux papier peint, je me rends compte que ce mur est assez propre. La surface ressemble à celle du carton.

Un pastel bleu fera l’affaire pour l’esquisse. Le dessin doit être doit être précis, car basé sur la symétrie.

Je représente mon loup sur fond de vitraux de la cathédrale de Bourges.

Il est tribal. Il est argent et or, comme un objet de vénération : une icône.

Les couleurs du fond reprennent le symbolisme classique des vitraux : des jaunes pour le soleil, des bleus pour le ciel, des verts pour les paysages, un marron pour la terre, un vert-bleu pour les étangs, un gris pour l’empreinte de l’homme.

Les « meneurs de loups » parlaient le langage des loups. Ils étaient décrits comme des sorciers ou comme des loup-garous car certains d’entre eux avaient le pouvoir de se transformer en loup.

Ils charmaient les loups avec de la musique ou des formules magiques et les cachaient pendant les battues. Il était très dangereux de se les mettre à dos car ils pouvaient ordonner aux loups qui les accompagnaient de tuer les troupeaux des paysans…

George Sand a consacré plusieurs textes aux croyances et aux légendes où il est question des meneurs de loups.

Le Berry a gardé des traces du loup dans sa toponymie: chaume au loup, bois au loup, jappe loup, fosse au loup…

Dans « Promenades autour d’un village », George Sand raconte une étonnante chasse au papillon.

L’un de ses compagnons de route a capturé un spécimen dans son filet. Il montre sa prise. Le naturaliste et l’amateur, aussi passionnés l’un que l’autre, se regardèrent, l’un tremblant, l’autre stupéfait, et cette exclamation sortit simultanément de leurs lèvres : Algira !

Il fut expliqué à George Sand qu’Algira était originaire d’Alger où elle est très commune, mais que sa rencontre sur les buis, au centre de la France, était un fait inouï, un peu comme si on rencontrait des gazelles ou des antilopes dans la forêt des Ardennes.

Ça y est, j’ai trouvé le sujet du mur central!

Le papillon de nuit Algira est également appelé « la passagère ». Ce sera une peinture qui évoluera dans le temps avec la dégradation progressive de la surface du mur.

Contraint par des problème de séchage, je le peins très vite au spray dans l’espoir de donner l’illusion que le dessin fasse partie intégrante du mur.

Cela semble fonctionner, des craquelures apparaissent déjà sur le bord des ailes.

Le bord du papier peint de George Sand est maquillé comme un vieux parchemin.

Les tuyaux prennent une couleur argent.

Le plafond devient progressivement bleu ciel avec des nuages, et le sol vert…comme la surface d’une mare…au diable…

Le papillon de nuit Algira dit « La Passagère » fera écho à la toile que j’envisage de faire, car je découvre à ce moment là que j’ai l’idée du sujet du tableau.

Face à ces trois images, je me lance dans la réalisation d’une forêt de Troncais « magique ».

Cette forêt est légendaire. Elle se trouve aux portes de Street Art City, et quand j’étais enfant, je m’y rendais souvent, notamment avec ma grand mère Simone pour aller à la mystérieuse Fontaine de Viljot.

J’y intègre un autre animal symbole de la région, passeur d’âme : un corbeau attrapant une bombe SAC (Street Art City).

Charognards avant tout, le corbeau se nourrit de corps morts. En faisant disparaître les corps du monde réel, la croyance qu’il facilite le passage de l’esprit dans l’au-delà a germé. Il a ainsi gardé un rôle de messager entre les morts et les vivants.

C’est aussi l’oiseau des sorcières, le familier du diable, que l’on crucifiait jadis aux portes des maisons, afin d’exorciser le mal…

…mais le corbeau aussi mérite des couleurs!

Je customise l’ampoule au plafond qui me rappelle un lampadaire extérieur que nous avions à la ferme…

Le mur à gauche sera l’emplacement de la toile que je dois intégrer à la chambre : ce sera un portrait revisité de ma grand mère maternelle, Simone Pialleport.

Je passe alors à l’atelier.

Simone aussi était aussi « une passagère ». Elle est malheureusement décédée dans l’avion l’amenant à La Réunion pour nous rejoindre.

Il allait donc bien de soit de lui rendre hommage dans ce contexte.

Sylvie a vu dans ce tableau quelque chose de masculin, de l’ordre de l’autoportrait. Elle s’est rendu compte que la partie droite du visage est féminine et la partie gauche masculine…

Le fond reprend le rappel des vitraux de la cathédrale de Bourges.

En vous rendant sur place, vous découvrirez aussi la salle de bain, un univers complémentaire à la chambre, et la porte d’entrée qui fait un clin d’œil à l’Île de la Réunion.

Une dernière photo pour vous présenter une partie de la belle équipe de Street Art City.

De gauche à droite : Ma pomme, Sylvie, Greg, Olivier, Léa, Abeil et Gilles.

Merci à tous!

Galerie

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